Sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes

À Notre-Dame-des-Landes, au nord-ouest de Nantes, une communauté hétéroclite mais unie s’active pour éviter que la Zone d’Aménagement Différé ne devienne un aéroport.

En arrivant aux abords de la « Zone À Défendre », on voit fleurir partout au bord des routes des dizaines de panneaux aux slogans variés contre le projet d’aéroport du Grand-Ouest. « Non à l’Ayraultport », « Vinci dégage ! » sont des formules récurrentes sur les chemins qui mènent à Notre-Dame-des-Landes.

En parcourant la forêt de Rohanne, on comprend la virulence des défenseurs des lieux. Placée à cheval sur les deux futures pistes de l’éventuel aéroport, elle représente un enjeu majeur du face-à-face des pro et des anti. Des arbres centenaires se reflètent sur des mares lisses comme des miroirs. Les oiseaux semblent chanter ici plus fort qu’ailleurs. « On avait peur qu’ils ne reviennent pas. Après les affrontements, le silence était assourdissant » confie un riverain. Mais apparemment, eux aussi sont déterminés à demeurer ici.

Autour de Rohanne, sur environ 1600 hectares de prés et de forêts, sont disséminés des dizaines de villages créés par les « zadistes » pour occuper les lieux. Discrets devant un appareil photo, ils n’en sont pas moins actifs sur le terrain. Sur des routes plus ou moins dégoudronnées et des chemins plus ou moins boueux, on croise tantôt un homme portant une immense poutre, tantôt des cyclistes à la recherche d’un sac rose, tantôt un jeune poussant une brouette débordant de gravier : « Je vais à la Chat-Teigne », lance-t-il.

Les ZAD ont fait émerger un réseau de luttes solidaires.

La Chat-Teigne, village d’accueil. Pour éviter de patauger dans la boue tout l’hiver, il est monté sur pilotis. On y parcourt donc des pontons qui mènent à trois dortoirs chauffés au bois, une grande salle de réunion, un bloc sanitaire fonctionnant à l’eau de pluie, un bar et une cuisine collective. Deux jeunes y préparent un repas, et témoignent.

Formée de restes de bombes lacrymogènes, vestiges de temps plus houleux, l’enseigne du bar indique « NO-TAVerne ». L’allusion au mouvement « NO TAV » (« TAV » est l’équivalent de TGV en italien) protestant contre le projet de liaison ferroviaire entre Lyon et Turin est claire. Une autre ZAD en somme. Car elles sont plusieurs en France, ces Zones d’Aménagement Différé sujettes à controverses. Celle de Décines, butte agricole destinée à devenir un complexe sportif et hôtelier par exemple. Ou encore celle du bois du Tronçay, sur laquelle est planifiée la construction d’un incinérateur et d’une usine de production électrique. Que ces combats y soient antérieurs ou postérieurs, ils ont profité de la médiatisation de la lutte landaise. Solidaires, parfois nomades, les activistes des différentes luttes se soutiennent moralement, traversant parfois la France entière pour soutenir leurs camarades à leurs procès. Ils participent à des journées d’action ou colportent des astuces et des infos pour mieux résister. Grâce à ces liens se crée progressivement un réseau d’amitié inter-luttes et de soutien matériel et moral.

Grâce au collectif, la résistance s’organise sur tous les fronts.

Un peu plus loin, à La Rolandière, les regards sont tournés vers un chantier achevé au printemps. « La Transfu » est une nouvelle cabane issue d’un chantier collaboratif. Matériaux de récupération, dons et bonne volonté ont permis d’aménager ce lieu de vie autonome, un de plus pour bloquer le bétonnage controversé.

Et pour ça, les zadistes ne manquent pas d’imagination. Les opposants s’organisent pour remettre en cause la construction de l’aéroport, et chacun apporte des compétences variées. Certains se consacrent à la lutte administrative : ils entament des recours en justice, devant la commission européenne par exemple, mettant en avant le principe de protection des zones humides. Ils lancent aussi des contre-expertises, pour remettre en cause l’impossibilité d’adapter l’aéroport actuel ou la déclaration d’utilité publique du projet. D’autres s’attèlent à la lutte de terrain : ils s’entendent sur l’occupation de fermes vouées à la destruction, et trouvent des moyens ingénieux pour occuper l’espace le plus durablement possible. À l’est des terres promises à Vinci, au milieu d’un étang, se dresse un petit cabanon de bois. Concrétisation d’un rêve d’enfant ? Démonstration technique ? Toujours est-il que cette cahutte insolite, accessible uniquement en barque, sera de ce fait difficilement destructible par les forces de l’ordre. Ainsi le cumul des activités individuelles renforce-t-il l’action collective.

Les zadistes travaillent aussi en concertation avec des associations locales pour mettre en place des manifestations originales, comme créer une chaine humaine tout autour de la ZAD pour la protéger symboliquement.

En poussant la promenade jusqu’à « La Friche », on tombe sur un drôle de jardin : des fossés, des trous et des buttes d’argile sont reliés par de petits ponts de bois. « Ici, on a creusé pour créer des mares. Certaines ont été détruites depuis le début de l’occupation, alors on en recrée. À côté il y a la cabane collective, le lieu de vie, et tout autour, des petits chemins. Ils mènent chacun à une cabane d’habitation. » L’une d’elle est encore en cours de montage, mais la forme des fondations est sans équivoque : « On construit le pentagone ». Clin d’œil au quartier général de la défense américaine.

La diversité des zadistes : un défi qui n’empêche pas l’action collective.

Agriculteurs, riverains, retraités, jeunes, SDF ou cadres ont su dépasser les clivages sociaux et politiques pour défendre un idéal commun. Dans cette diversité se forme une cohésion sociale forte. Chacun apporte sa contribution : savoir-faire ou connaissances sur les principes du maraîchage, de l’irrigation, de la construction, ou encore des toilettes sèches…  Partant d’une envie, d’une idée ou d’un besoin, ils organisent des rencontres, pour ouvrir le débat et discuter de projets à mettre en œuvre. Sans hiérarchie et malgré les différences de point de vue de chacun, on arrive alors, non sans quelques conflits, à des réalisations concrètes. L’opération « Sème ta ZAD » en est un bon exemple : une collecte de semences venues de toute la France permet de faire revivre des légumes anciens et de ré-exploiter des terres laissées à l’abandon depuis des dizaines d’années, dans le but de tendre vers l’autosuffisance alimentaire. Cependant, si dans l’urgence les décisions sont rapidement tranchées, lorsque la situation devient plus calme, on note certaines divergences de point de vue face à la finalité de cette lutte. Les agriculteurs du coin se verraient bien récupérer leurs terres pour continuer à les exploiter, et les habitants de la région aimeraient y retrouver la paix, tandis que les opposants, certains de longue date, souvent très libertaires, préfèreraient la création d’une zone expérimentale autogérée.

Une véritable microsociété où les rapports humains prennent le pas sur les circuits monétaires.

Car les occupants de la zone luttent contre un aéroport, oui. Mais pas seulement. Ils luttent contre l’aéroport « et le monde qui va avec ». Ainsi, le lieu devient un terrain d’expression pour chaque individu, et d’expérimentation d’un nouveau mode de vie. Le mouvement ne se limite pas à la contestation du modèle de la société en place, il propose aussi des solutions alternatives. Sur le principe du libre-échange, les contreparties financières sont réduites à leur strict minimum. Les productions légumières sont vendues à prix libre, on se rend service contre service, on se sert dans les « freeshops » et on y laisse ce dont on n’a plus besoin. Même si cette philosophie du non-pécuniaire ne leur garantit pas encore une indépendance totale vis-à-vis de la société extérieure, les habitants de la ZAD ont choisi de détrôner l’argent de son statut de centre du monde pour mettre à sa place l’humain et la terre.

Le soir même, Radio Klaxon annonce un concert au Gourbi. « La radio que personne n’écoute » selon le jingle, squatte elle aussi. La fréquence Autoroute Info, 107.7, n’est plus dédiée au trafic et aux bouchons, mais aux chroniques engagées et aux annonces des locaux. « On a trouvé un sac rose, venez le chercher à la radio, accessoirement apportez des bières ! » « On rappelle le concert ce soir au Gourbi ! » « Réunion des habitants demain à 19 heures aux Cent-Noms ! ». Les animateurs des ondes qui baignent la zone, sans se prendre au sérieux, portent un vrai moyen de communication et de coordination. Grâce à lui, ils organiseront une réunion à Bellevue le lendemain. Le nettoyage d’un champ, et une expédition déchèterie le surlendemain. Et les jours suivants, ils mettront en route mille autres chantiers.

Mais certainement pas celui d’un aéroport.